La réforme des retraites actuellement en cours en France fait face à des critiques virulentes. Un élément clé de cette réforme, à savoir l’âge de la retraite fixé à 64 ans, est au cœur de la controverse. Une proposition d’abrogation de cette mesure, déposée par le groupe de députés indépendants Liot, a été jugée irrecevable par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en vertu de l’article 40 de la Constitution. Cette décision, loin de calmer les esprits, a exacerbé les tensions.
Dans ce contexte, un thread sur Twitter offre une analyse intéressante des enjeux de ce débat. Cette analyse suggère que le gouvernement, en utilisant une interprétation controversée de l’article 40, pourrait réussir à échapper à un vote sur cette proposition d’abrogation.
Ces éléments ont été exposés dans une série de tweets, que nous citons intégralement ci-dessous :
A propos de la proposition de loi du 8 juin d’abrogation des 64 ans, le plan de Macron qui consiste à supprimer l’article, pour ensuite déclarer irrecevable l’amendement qui rétablit l’article, ce serait aussi une grave entorse aux règles de l’Assemblée nationale. Explications ⤵️
De quoi il est question ? Du plan des macronistes, évoqué dans cet article de Mediapart, pour éviter d’avoir un vote sur la proposition de loi abrogeant le passage à 64 ans.
mediapart.fr/journal/politi…Le plan en question en un mot : pendant l’examen en commission, réussir à faire adopter un amendement supprimant l’article abrogeant les 64 ans, et ensuite, lors de l’examen en séance, comme c’est Braun-Pivet et non Coquerel qui examine si un amendement crée une charge financière
… et donc décide si un amendement est recevable ou non, déclarer que l’amendement de l’opposition qui rétablit l’abrogation crée une charge, et donc qu’il est irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Les macronistes estiment, et essaient de vendre médiatiquement, que ça respecterait les règles, les usages, tout ça, bref, que ce serait réglo.
Sauf que non, ce serait clairement aller contre l’usage constant de l’Assemblée nationale. Pourquoi ? En un mot : parce que l’amendement est en réalité recevable. Sauf qu’à la fin, il y a un « mais », qui va vous faire vriller.
Lorsqu’il est question de juger si un amendement crée une charge financière ou pas, il faut toujours se demander “une charge par rapport à quoi”. C’est ce qu’on appelle la “base de référence”.
C’est quoi le maximum qu’on peut dépenser ? Entre :
– Le droit actuellement en vigueur
– Ce qui est proposé par le texte initialement déposé
– Le texte adopté par la commission
– Un amendement du gouv (qui n’est pas tenu par l’article 40)Réponse : la jurisprudence, constante, est de prendre la base la + favorable à l’initiative parlementaire. C’est pas moi qui le dis, c’est Eric Woerth dans son rapport en tant que président de la commission des finances sur l’application de l’article 40 (qui est le mode d’emploi)
Quelques exemples (très) simplifiés :
Si le droit en vigueur dit “les musées publics sont ouverts jusqu’à 19h”, et qu’un texte propose de passer à 17h, ce qui coûte moins cher, est-ce qu’un amendement qui propose 18h crée une charge ?
Réponse : non. Parce que ça va déjà jusqu’à 19h, donc passer de 19 à 18h, ça économise de l’argent.
La logique, c’est qu’un amendement de suppression (par nature toujours recevable) pourrait de toute façon faire pire en revenant à 19h.Exemple 2 : si le droit en vigueur dit 17h, et un texte propose de passer à 19h, est-ce qu’un amendement qui propose 18h coûte de l’argent ?
Non plus. Parce que sans l’amendement, si le texte proposé est adopté, ça passera à 19h : l’amendement économise aussi de l’argent.Dans les deux exemples, si un amendement du gouvernement (qui n’est pas soumis à l’article 40) propose 21h, alors la base de référence devient 21h : les amendements des parlementaires peuvent donc aller jusque là.
Ensuite, il y a deux questions à régler :
1) Est-ce que le texte initial peut servir de base de référence lors de l’examen en séance, alors qu’il a été modifié entre temps par la commission ?2) Est-ce que ce raisonnement, qui vaut pour les projets de loi, vaut aussi pour les propositions de loi ?
(Rappel :
– Projet de loi (PJL) = déposé par le gouvernement, qui a le droit de créer des charges
– Proposition de loi (PPL) = déposé par les parlementaires, qui n’ont en principe pas le droit, mais on le tolère pour les PPL parce que sinon presque plus rien ne peut être discuté)La réponse à ces deux questions figure là aussi dans le rapport d’Eric Woerth (LREM). Principalement dans le premier tiret de ce passage.
Qu’est-ce que ça dit en français ? Deux choses :
1) La base de référence, c’est ce qui est le plus favorable à l’initiative parlementaire, entre :
– le droit en vigueur,
– ce qui est proposé par le texte initial,
– et ce qui est proposé par le texte de la commission.Donc en l’occurrence, la base de référence sera ce qui est proposé par le texte initial, à savoir l’abrogation des 64 ans. Donc, si elle est supprimée en commission, proposer de rétablir l’abrogation en séance ne crée pas de charge et ne devrait pas être irrecevable.
Et
2) Oui, ça vaut aussi pour une proposition de loi, tant que l’article qui est amendé n’a pas été déclaré irrecevable (et ça, c’est jugé par Coquerel et pas par Braun-Pivet. Me demandez pas pourquoi, c’est comme ça dans le règlement…)Conclusion : sur le plan du droit, tant que Coquerel ne déclare pas l’article abrogeant les 64 ans irrecevable, l’amendement qui cherchera à le rétablir sera recevable. C’est indiscutable. Il ne devrait pas pouvoir être déclaré irrecevable.
Mais.
Le souci, c’est qu’il y a le droit, et il y a le vrai monde. Et là c’est le moment qui va vous rendre dingue.
Lorsque l’amendement de rétablissement sera déposé, et sa recevabilité contestée, qui jugera ? La présidente de l’AN, Yaël Braun-Pivet.
Selon quelles règles ? En principe, tout ce que je viens de raconter, et si elle suit les règles, elle devra déclarer l’amendement recevable.Mais si elle décide de violer ces règles, en déclarant l’amendement irrecevable ? Eh bien il n’existe aucun moyen de contester sa décision.
Et je dis bien aucun : certains penseront peut-être au Conseil constitutionnel, mais à ma connaissance, il n’existe nulle part de dispositions prévoyant sa consultation.
(A la limite (et c’est très douteux), on pourrait considérer que le bureau de l’AN pourrait s’insurger, aller contre elle et engager un bras de fer, mais dans les faits ça ne risque pas : les macronistes y ont la majorité.)
(Pour les spécialistes : même si on considère que l’art 41 C al 2 peut s’étendre à l’art 40 C, ce qui est douteux, le CC serait saisi par le gouvernement ou… la présidente de l’AN. Lol. Et en plus, le CC aurait 8 jours, un peu long sur une niche…)
Autrement dit, en droit, l’amendement de rétablissement est recevable… mais en pratique, Yaël Braun-Pivet peut décider d’en avoir rien à faire et le shooter quand même, en toute impunité, et personne ne pourra rien faire.
Tous les juristes le savent : une règle sans sanction, c’est pas une règle, c’est une déclaration de principe… Et il se trouve que les règlements des chambres ont comme seuls arbitres les présidents/bureaux des chambres, le Conseil constit refuse de contrôler leur respect.
Et si vous vous dites que c’est absolument cinglé qu’il n’y ait aucune autorité externe et qui se veut à peu près impartiale pour faire respecter le règlement (sur ce point spécifique, comme en général)…
…parce que ça veut concrètement dire que le règlement ne vaut que tant que la majorité de l’Assemblée veut bien le respecter, mais que si elle en a envie, elle peut l’ignorer et faire ce qu’elle veut…
… et que le jour où on aura une majorité qui s’en moque complètement de respecter les règles républicaines, on va être sacrément mal barrés…
Bienvenue au club. Ça fait 6 ans que je démontre méthodiquement que la Vème République est dangereuse. Ça m’a ramené 85 000 abonnés. Rejoignez les, abonnez-vous 😏
Et au passage, quoi que vous pensiez du fond (les retraites etc), et même si vous êtes pro-Macron, vous devriez réaliser tout ça. Vous serez dans l’opposition un jour. Ce jour là, les monstres que vous créez seront utilisés contre vous… Et ça risque d’être par Le Pen.
J’espère que Braun-Pivet le réalisera et ne créera pas un précédent funeste. Malheureusement, j’ai peur que la pression de l’Elysée ait raison d’elle, mais bon 🤷♂️
https://twitter.com/malopedia
Deux amendements quasiment identiques : Deux décisions bien différente:
Voici deux amendements quasiment identiques et qui ont étaient soumis au parlement.
L’un date de 2020, et l’autre est celui proposé par le groupe LIOT.
Comme vous pouvez le voir ils sont très similaire mais si celui de 2020 a été jugé recevable, celui de 2023 ne a été jugé irrecevable….
Conclusion:
En conclusion, cette situation met en évidence l’importance du respect des règles parlementaires dans le fonctionnement de notre démocratie. L’application de l’article 40 de la Constitution dans ce contexte de réforme des retraites suscite des questions sur l’équilibre des pouvoirs et sur le risque d’abus potentiels de la part de la majorité en place. L’analyse sur Twitter que nous avons citée offre un éclairage précieux sur les enjeux complexes de cette situation.
Au-delà de l’âge de la retraite et de la réforme elle-même, c’est la qualité de notre débat démocratique qui est en jeu. Cet incident nous rappelle que chaque citoyen a le devoir de rester vigilant et informé sur les processus législatifs. C’est par la connaissance et l’engagement de tous que nous pourrons garantir le respect des principes démocratiques et préserver l’intégrité de nos institutions.
L’enjeu est donc double : il s’agit non seulement de trouver une solution équilibrée et équitable à la question des retraites, mais aussi de veiller à ce que les règles du jeu démocratique soient respectées. Il est crucial que les débats parlementaires restent un espace de discussion ouvert et transparent, où chaque voix a le droit d’être entendue et chaque vote compte.